Un sacrifice pour le Clan ...

Quand les premières lueurs du jour traversèrent les interstices du mur végétal de sa hutte, Mahelys était agenouillée à même le sol, les yeux mi-clos. Elle attendait que l’aube se lève depuis un long moment déjà. Sentant de faibles rayons réchauffer son visage, elle ouvrit tout à fait les yeux. Une brise légère fit onduler les voilures barrant l’entrée de sa hutte. Elle huma l’air extérieur, un souffle frais vint caresser son visage.

Personne n’était encore réveillé dans le petit campement... La grande forêt d’Orneval était pleine de la sérénité des matins, du chant des oiseaux qui résonnait en écho dans la cime des arbres. À travers les voilages, Mahelys regarda les huttes endormies, contempla la nature environnante qui s’éveillait tranquillement.

Elle ouvrit l’un des tiroirs de sa commode et en sortit un petit journal. L’objet semblait usé, les pages jaunies ; cela faisait quelques jours que l’Heryn éprouvait le besoin irrépressible de se confier, de graver ces sentiments compliqués et pesants qui la traversaient depuis quelques temps. Elle prit une plume, un minuscule flacon d'encre noire et les fourra dans son sac avec le journal.

Un grand frisson parcourut ses bras nus quand elle sortit et se dirigea vers la lisière du campement. Elle se posa sur l’herbe, prenant appui contre le tronc d’un arbre plus large que haut, une sorte de platane qui l’abritait de son feuillage dru.

Bien installée, la druidesse ouvrit son vieux journal qu’elle cala sur ses jambes. Elle y inscrivit ce qu’elle avait sur le cœur, relâchant toute la pression qu’elle subissait depuis quelques temps. Son visage d’ordinaire espiègle affichait tantôt de l’inquiétude, tantôt de la tristesse, parfois un léger sourire.

Les feuilles de l’arbre remuèrent pour laisser passer une Hîlneth du Clan. La mine soucieuse de Mahelys se mua en une expression calme devant cette jeune elfe que le clan venait de prendre sous sa protection. Le regard de l’Heryn brillait encore des émotions qu’elle venait d’inscrire dans son journal. Merenwhen s’assit en tailleur devant elle, et les deux druidesses échangèrent quelques mots, se rassurant l’une l’autre en grignotant quelques baies. La jeune Hîlneth ouvrait de grands yeux, semblant boire les paroles de l’Heryn lorsqu’elle lui raconta le début de l’histoire ancestrale du clan.

Alors qu’elle récitait l’histoire qui lui avait à elle aussi été racontée auparavant, Mahelys imaginait le campement juste derrière, s’éveillant doucement. Leythalas était venue les rejoindre sous la fraîcheur du grand arbre. Rapidement, Mahelys se rendit compte d’une quatrième présence… un félin était là, couché près d'une souche. Il avait visiblement écouté l’histoire, lui aussi… Il s’agissait d’une autre Hîlneth, Vérity… que l’on ne voyait quasiment plus au clan depuis un long moment.

Vérity les salua d’une voix rauque. Mahelys interrompit son récit, troublée… Ce matin-là, le félin semblait différent… plus sombre, plus faible. Sa voix laissait percevoir un malaise, quelque chose de grave.

De son accent traînant, Vérity demanda où était son fiancé, Bedrael. Aucune des trois druidesses ne savait de quel côté du campement le chasseur avait pris sa garde cette nuit-là.
Vérity dévoila alors ce pour quoi elle était venue… Elle venait faire ses adieux à Bedrael, ses adieux au clan. D’abord, Mahelys pensa que le félin, qu'elle avait toujours connu indépendant et solitaire, avait décidé de couper les ponts avec Bedrael, ce fiancé qu’elle venait voir si rarement… Mais bientôt, elle comprit que c’était quelque chose d’autre. Leythalas et Merenwhen semblaient en avoir pris conscience, elles aussi : Vérity était en mauvaise santé… Son corps et son esprit apparurent rapidement comme possédés, l’Hîlneth n’était plus elle-même.

Mahelys sentit bientôt le sol se dérober sous ses pieds. Elle eut l’impression de glisser lentement tandis que Vérity lui demandait de mettre fin à ses jours, d’éviter des souffrances inutiles au clan… L’Heryn vit Vérity en forme d’elfe pour la première fois… sa peau, tout son corps était gris, un gris malsain, cette teinte propre aux poisons et autres malédictions contre lesquels les druidesses luttent depuis la nuit des temps.

Des pleurs… les gémissements rauques que Vérity poussait avaient fini par réveiller la petite Aerlinn. Les petits cris attirèrent l’attention de Vérity.

Shandara arriva à ce moment précis. Elle se réveillait à peine, elle venait saluer les elfes éveillés, les yeux encore embués de sommeil. Elle se figea devant la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Elle vit Vérity menaçant de s’en prendre à l’enfant si on ne mettait pas fin à ses jours ; elle la vit commençant à se diriger vers la hutte d’où provenaient les pleurs. Elle vit deux félins. Mahelys venait de se transformer et barrait de son corps l’entrée de la hutte.

Shandara ! Le bébé !

Sans réfléchir, Shandara suivit l'ordre de l'Heryn. Elle passa à côté d'elle, entra à toute allure dans la hutte et prit la petite dans son berceau.

Des bruits confus, des cris, des grondements ! L’envol de dizaines d’oiseaux effrayés ! Shandara sorti de sa hutte d’un pas hésitant, la tête lourde, encore somnolente. A peine hors de sa hutte, portant encore la tenue qu’elle avait mise hier soir, elle aperçut avec effroi ce qui l’avait éveillée.

Deux félins, toutes griffes dehors se jaugeaient a quelques pas l’un de l’autre, tournant l’un autour de l’autre cherchant un moment d’inattention, un angle d’attaque.
L’un des deux fauves, semblait interdire l’accès à la tente de Naneth. L’autre, une lueur étrange et terrifiante dans ses yeux, se déplaçait a pas lent mesurant chaque pas pour se positionner pour l’attaque.
Shandara tourna instinctivement la tête et aperçut, à quelque pas des deux fauves, la Hilneth Leythalas, prenant parti pour le félin protégeant l’entrée de la hutte de la matriarche, qui s’avançait pour s’interposer.
A cet instant, venant du sentier, la jeune Hilneth Merenwhen accourait au pas de course.

L’ENFANT !!! Tous ne parlaient que d’elle, Aerlinn !

Ne sachant si l’arrivée de Merenwhen, son apparition ou le geste de Leythalas était responsable du début de l’attaque… Celle-ci se produisit avec la rapidité de l’éclair.
Le félin, qu’elle reconnu comme Verity, bondit sur Leythalas et la plaqua au sol. Le second félin bondit à son tour pour sauver de justesse la druidesse.

Shandara ! Le bébé ! A nouveau les cris retentirent !

Elle reconnu aussitôt la voie de Mahelys, la Heryn, et se précipita dans la hutte de Naneth et en ressorti avec Aerlinn en pleure dans ses bras.

Le combat faisait rage ! Des coups de griffes s’échangeaient, la situation devenait confuse et prises de panique Shandara et Merenwhen se mirent à l’abri à quelques pas de là, protégeant la petite. La Hilneth tendit la bride du tigre à Shandara qui enfourcha sa monture l’enfant serré contre elle.
Le combat pris fin comme il avait commencé, en un instant. Les deux fauves furent bientôt rejoins par un troisième, Leythalas. Ils se mirent à se tourner autours, préparant chacun une riposte.

Shandara observait, apeurée, la manœuvre depuis un promontoire sur le sentier, quand elle s’aperçut qu’un des fauves se détachait du groupe dans sa direction. Sans réfléchir ou attendre de savoir laquelle des druidesses cela pouvait être, elle éperonna son tigre et s’enfui vers la forêt à brides abattues.

La poursuite avait commencé…

Se retournant de temps à autre pour voir si elle distançait la panthère, Shandara poussait sa monture au mépris du danger, avec la petite serrée dans ses bras.
Le fauve enragé gagnait du terrain! Elle quitta le sentier et gravit un promontoire pour semer ses poursuivants.
Sans espoir, la traque ne se terminera qu’avec un affrontement.

Elle descendit à une allure imprudente les coteaux et parvint au sanctuaire, espérant y trouver refuge. Les terres consacrées protégeraient peut être l’enfant ?
Se croyant sauvée, elle ralenti l’allure. Dans l’instant d’après, elle fut projetée à terre, surprise par la ruade de son tigre. Elle pu juste entrevoir du coin des yeux que la panthère avait planté ses griffes dans l’encolure de sa monture à la hauteur de la patte avant gauche.
Détournant son attention de la monture, le fauve bondit avec férocité sur Shandara. Dans le hurlement de son tigre blessé elle comprit qu’elle devait protéger l’enfant de son corps et se mit en boule et attendit passivement l’attaque. En lieu et place d’une panthère, comme par enchantement ! Un gigantesque ours se releva sur ses pattes grogna et se laissa retomber sur Shandara. Dans Un bruit sourd de craquement, suivi d’un cris de douleur, elle s’évanoui sous le choc. Ces dernières pensées cohérentes furent à sa grande surprise pour la petite et non un défilement rapide de sa vie.

Petite Aerlinn si fragile…

Une légère brise soufflait dans les arbres alors que la petite troupe rentrait au camp. La forêt était silencieuse, apaisante comme si le vacarme du combat qui venait d’avoir lieu n’était déjà plus qu’un écho, une vague souvenir.
Au pas, la petite troupe formait une file indienne serpentant sur le sentier. Toutes semblaient atterrées, encore sous le choc, incapable de prononcer un seul mot.

Arrivées au camp, elle mirent pied à terre et se regardèrent toutes sans dire un mot. Puis prenant conscience que le temps ne pouvait rester suspendu comme cela, la Hilneth Leythalas et la Heryn Mahelys déposèrent au sol avec une grande précaution le corps inerte de Verity. Hilneth Merenwhen, toujours avec la petite Aerlinn dans les bras se dirigea vers la hutte de Naneth pour la coucher dans son berceau. Laerin Shandara, encore dans le souvenir de sa douleur, se réchauffait près du feu.

Bientôt les quatre elfes se retrouvèrent autour du corps de Verity. Comme impuissantes, ne sachant comment expliquer ce qui venait de ce passer, ne mesurant pas encore les conséquences de toute cette violence.
Verity avait repris son apparence des beaux jours, un sourire sur le visage, comme une morte apprêtée pour son dernier voyage.

Les druidesses se mirent à évoquer les événements tragiques qui avaient menés Verity à s’attaquer au clan et à l’enfant. Cherchant à reconstituer, à recoller ensemble des bribes pour expliquer ce qui venait de se produire. Une chose apparut comme évidente : Quelque chose s’était emparé de Verity et l’avait corrompue.
A mesure que la conversation avançait, l’espoir lui, diminuait.

Shandara, prise par un sentiment confus de haine, de terreur et d’impuissance se remémora une nuit de cauchemar passée à Hurlevent et pris la parole.

-Le culte des damnés !... lorsque nous avions décapité l’adepte, son sang noirâtre avait reflué vers sa blessure… un voie ténébreuse s’était faite entendre et son corps avait disparu…

Les autres elfes se turent un instant et la Heryn demanda à la laerin de s’expliquer. Shandara tenta de faire des parallèles, de faire des liens entre les similitudes des deux événements…

« La brise changea soudain de direction, le feuillage des arbres gronda comme pris dans un orage. Du sol des racines émergèrent, d’abord de petits filaments suivis d’autres de la taille d’un doigt. Un chapelet de feuilles tombant en pluie commençait à recouvrir l’aire du feu de camp. »

Les quatre elfes furent hébétés par ce prodige et portèrent leurs regards en direction de la cime des arbres.

Shandara s’aperçut que les racines et le sol même, semblaient avaler le corps de Verity. Prise de panique elle se précipita sur Verity pour l’empêcher de disparaître. Bientôt rejoins par les autres, elles jetèrent toutes leurs dernières forces dans ce combat contre la nature hostile à la simple existence de la druidesse.

« Une dernière rafale de vent marqua la fin des hostilités. Les racines reprirent la direction de la terre, les feuilles gisaient au sol et les branches des arbres reprirent calmement leur balancement habituel. »

La Heryn prit la parole :

- Menons Verity à l’auberge d’Astranaar ! elle y sera plus en sécurité, ou du moins la nature sera moins prompte à s’attaquer à elle.

Les quatre elfes prirent délicatement le corps de Verity et enfourchèrent leurs montures et chevauchèrent jusqu'au relais. Elles y déposèrent Verity dans un bon lit à l’étage et la veillèrent avec toutes les attentions qu’elles pouvaient lui apporter.

Par le balcon, Shandara senti la colère monter en elle. Se tournant vers Mahelys, elle déclara.

- Je ne retrouverai la paix que lorsque je saurais ce qui est arrivé à Verity ! je dois pourchasser le culte des damnés !

La Heryn regarda la Laerin et lui permit de se retirer tout en la conjurant de rester prudente. Shandara hocha de la tête et s’inclina devant la sagesse de Mahelys et sorti de l’auberge.

Elle enfourcha sa monture blessée et au pas prit la direction de la côte.

Quelques jours s’étaient passés depuis ce terrible événement. Shandara s’était tenue au courant de l’état de santé de Verity à chaque fois qu’elle rencontrait un membre du clan. Elle avait apprit que Verity avait été ramenée au camp et que la nature ne semblait plus hostile à son égard. Les druidesse avait certainement fait usage de tous leurs pouvoirs.

De son côté, Shandara n’était pas parvenue à mettre la main sur l’un de ces maudits adeptes. Elle était revenue au camp la veille au soir pour tenir la promesse qu’elle avait fait à Naneth. Elle s’occupera de la petite Aerlinn en l’absence de la matriarche.

La journée avait été paisible et l’affection de Shandara pour la petite grandissait. Elle ressentait une connivence, un lien se créer entre cette petite et elle-même. Même Dame Hollian, si frileuse en face de l’enfant, lui avait donné affectueusement la « becquée » la veille au soir. Cette enfant était le trait d’union qui liait nombre de membres du clan.

Le soir tombait, la brise s’essoufflait et la douce chaleur du feu de camp réchauffait ceux qui s’y étaient assemblés.

Le Rhîwin Fochtown, la nouvelle chasseresse du clan Anadriël et Shandara, avec la petite dans les bras, échangeaient quelques mots autours du feux dans une atmosphère paisible. Ils furent interrompus par un très faible gémissement provenant de la hutte ou avait été installée Verity.

Le Rhîwin fut le premier à se lever pour voir d’où provenaient ces gémissements. Il entrouvrit le rideau de peau de la hutte et aperçut la jeune Hilneth Verity alitée.
Soudainement inquiet il s’agenouilla devant le corps inerte et posa sa main sur le front de Verity. Il fut rejoins par Shandara après que celle-ci eut confiée la petite Aerlinn aux soins d’Anadriël.

Le front de Vérity était froid, son corps amaigri et dans un piteux état. Sa couche défraîchie datait de plusieurs jours. Le Rhîwin regarda la Laerin, et tous deux s’entendirent pour améliorer le sort de la pauvre Verity.
En premier, il fallait lui faire sa toilette, elle ne pouvait rester comme cela des jours alitée dans la même position sans en souffrir. Déjà la saleté et le manque de soins avaient marqués par endroit sa peau.

En peux de mots et par regards, tous s’organisèrent et prirent une part de la tâche. Anadriël, s’occupait de la petite en la berçant. Fochtown souleva délicatement Verity et l’amena sur les berges du lac. Shandara prit dans la hutte ce qui sera nécessaire à la toilette de Verity, ainsi que de quoi la changer et rejoignit le Rhîwin au lac.
Ils se transférèrent le corps amoindri et si léger de Verity.

- je vais faire chauffer une soupe, elle a besoin prendre des forces, et rapidement… encore deux jours comme cela et elle périra. *dit le Rhîwin*

Il s’éloigna du lac en direction du feu alors que Shandara entra dans l’eau avec Verity. Elle plongea le corps si fragile de la Hilneth dans l’eau et défit ses vêtements tout en la savonnant au fur et à mesure. La baignant et la frictionnant comme dans l’attente d’un miracle, Shandara remarqua la grande cicatrice que Verity portait au cou. Elle était effrayante et témoignait de la force du coup porté par la Heryn. Shandara sourit affectueusement en voyant le petit tatouage en forme de panthère et se prit à espérer que cet animal gravé dans sa peau lui porte bonheur.
Alors qu’elle finissait de la baigner, les cheveux de Verity changèrent de teinte. Ils s’assombrirent et prirent la couleur de la cendre, un gris sale. La tête de Verity roula et s’enfonça sous l’eau. Prise de panique Shandara pris a bras le corps Verity et la blotti contre elle pour la ramener à la berge. Une fois hors de l’eau, elle la frictionna vigoureusement d’un linge et l’habilla d’une robe propre. Elle fut rejointe à ce moment par Fochtown et toux deux la portèrent jusqu'au feu de camp.

Sur les conseils du Rhîwin, visiblement plus habitué aux situations de crises, Shandara s’assit en tailleur et adossa Verity entre ses jambes, le haut su corps contre sa poitrine.
Tous trois, Fochtown, Shandara et Anadriël se regardèrent en silence, encore sous le coup de l’émotion provoquée pas cette nouvelle manifestation surnaturelle.

Le Rhîwin s’agenouilla et prépara un petit bol de soupe. Il prit délicatement le visage de la jeune Hilneth inconsciente et d’un doigt lui entrouvrit les lèvres pour porter à sa bouche une cuillérée de breuvage chaud et s’assura qu’elle ne s’étouffe pas.
Shandara enserra de ses bras le petit corps pour lui apporter sa chaleur et son réconfort. Les deux elfes, le regard entendu et soudé par la compassion pour la Hilneth, prirent soins d’elle.

Comme par miracle, Verity donna de petits signes de vie, elle serra le bras de Shandara à plusieurs reprises, sursauta et frissonna, entrouvrit même les yeux, qui restèrent malheureusement sans expression.

La chasseresse à ce moment du rejoindre son poste de garde et déposa la petite dans le berceau.

Bouleversée par les signes instinctifs de Verity, Shandara se mit à sangloter sur l’épaule de la Hilneth, se sentant totalement impuissante. Le Rhîwin lui tendit un bol de soupe agrémenté d’un sourire empli de d’une force tranquille pour la réconforter.

- Votre présence, votre chaleur lui apporte beaucoup… vous devriez vous occuper d’elle cette nuit. *Le Rhîwin accompagna ses paroles d’un geste tendre pour sécher les larmes de Shandara*

Elle acquiesça d’un hochement de tête et reprit courage.

- Mais, je ne peux dormir aux côtés de Vérity et la veiller avec l’enfant… ce serait trop dangereux… pouvez-vous m’aider ? *répondit-elle*

Fochtown déposa une chaude couverture sur les deux elfes blotties l'une contre l'autre, puis se dirigea vers le berceau et prit la petite Aerlinn dans ses bras avec une douceur surprenante. Il s’assit sous la hutte et entama une mélopée emplie de mélancolie et d’espoir.

Shandara enserra tendrement Verity entre ses bras et se jambes pour la protéger, la soutenir dans son épreuve par sa présence. Elle reposa sa tête contre celle de la Hilneth et ferma les yeux, priant Elune et les esprits de la nature de bien vouloir intercéder pour Verity.

« Sous un éclat de lune, la chevelure de la Hilneth apparut d’une blancheur immaculée. »

La brise légère apporte les effluves du printemps naissant, faisant onduler paresseusement les feuilles du grand chêne qui ont servit de refuge pour la nuit. Bien calé au creux de deux branches ancestrales, une forme sombre se déploie prudemment, laissant le sang réinvestir ses membres engourdis. Le chuchotement des branches accompagne des mouvements inlassablement accomplis, toujours les mêmes depuis des siècles. Le sang afflux de nouveau, chassant la torpeur de deux nuits de veille. Bientôt les ombres s’étalent, ondulent lascivement autour de lui, comme des amantes impatientes. Dans son esprit, les voix résonnent, hurlent, vocifèrent tentant vainement de perturber l’arpenteur de la nuit, sans succès. Il semble avoir trouvé une échappatoire à leur complainte depuis que le clan l’a accueillit en son sein…

Son œil mort scrute les ténèbres avec l’acuité du lynx, fouillant les nuances de l’obscurité à la recherche d’un danger, d’un ennemi potentiel. Son œil étincelant comme une étoile jette sa vigilance sur le monde réel en éveil. En contrebas une biche mâchouille négligemment de l’herbe grasse parsemée de rosée. Son museau frétille nerveusement comme percevant un péril, son corps élancé s’immobilise, faisant trembler ses pattes, puis elle s’enfuit en sautillant prestement vers des broussailles salvatrices. Dans les ombres, son fumet dessine une courbe grenat qui s’évanouit rapidement. L’assassin aux abois attends patiemment que l’individu fautif de ce trouble daigne sortir de sa misérable cachette.

Des buissons qui ondulent, un juron Darnassien, et une elfe de la nuit qui émerge, chassant rageusement les ronces qui n’ont pas manqué de s’accrocher a son armure. Une Sentinelle, une des Gardiennes de Darnassus… Etrange… Serait ce celle qu’il cherche… De long cheveux blanc en pagaille, une apparence négligée malgré sa fonction… Son enquête a Tanaris avait été avare en renseignements mais il avait découvert que la jeune Hilneth Vérity avait été harnachée, inconsciente, sur un griffon, par une Sentinelle excédée, une elfe au regard fou et à la main droite balafrée... Une piste bien mince mais dont il ne doutait aucunement ; L’urine qui s’était répandue dans les chausses du maître grifonnier alors que la dague flattait sa jugulaire était un gage de véracité…

La Sentinelle regardait le sol à la recherche de traces qui pourrait lui fournir une piste, sa main droite écartant précautionneusement des brins d’herbe. Une main malheureusement gantée… Esquissant un sourire pervers, assassin s’avança dans le vide, déchirant le rideau de la réalité et s’immisçant dans les ombres accueillantes. Aussitôt ses maîtresses nocturnes l’enveloppèrent dans un délicieux manteau chaud et sensuel le faisant choir avec la délicatesse d’une plume… La sentinelle réajusta sa flèche sur son arc et entreprit de poursuivre sa traque. La suivre, voir, comprendre… Il avait fait une promesse qu’il tenait à honorer…

La sentinelle était une piètre chasseresse, où plutôt son humeur désastreuse la rendait inapte à une traque digne de ce nom. Après quelques essais infructueux et nombre de jurons délicats, voyant qu’elle n’arriverait pas a abattre cette maudite biche, elle rabattit sa hargne sur un lapin. Le sadisme avec lequel elle avait arraché la flèche de la bête encore vivante pour la replanter à plusieurs reprises n’augurait rien de bon sur sa santé mentale. Intrigué par cette déviance, l’arpenteur de la nuit, discret comme la brise, la suivit jusqu’à son campement, employant milles ruses pour déjouer les pièges que la sentinelle remettait en place derrière son passage. Rien ne le préparait au spectacle odieux qu’il allait découvrir…

Dans une clairière minuscule, accrochée a des piliers de soutien comme un vulgaire morceau de viande, la Hilneth Vérity gisait, la tête pendante. L’assassin l’avait cru de prime abord morte, puis elle avait tenté de relever la tête en entendant son bourreau rentrer au camp. Ses yeux étaient voilés, sa bouche craquelée par le manque d’eau, ses poignets cisaillés devenaient purulents sous la morsure du chanvre. Constatant que sa victime était encore en vie, la Sentinelle s’avança prestement, avec l’assurance amusée de ceux qui ont toutes les cartes dans leur main. Hautaine de son emprise et de son sentiment de puissance, elle attrapa le visage émacié brutalement et le tourna vers le sien, pour y lire les indices du trépas proche… L’elfe ricana puis s’esclaffa à gorge déployée devant son triomphe si proche, relâchant le visage sans ménagement qui ne manqua pas de retomber lourdement, faisant tousser pathétiquement la druidesse.

La Sentinelle se mit a chantonner, en parlant quelques fois a voix basse, toute seule. A genou devant le feu, elle entreprit de vider sa modeste prise de chasse, arrachant les boyaux a pleine main, les projetant, enjouée, au pied de sa suppliciée. Elle chercha du regard une réaction mais rien ne vint, se qui gâcha manifestement un peu de son contentement. Grimaçant comme une gargouille, elle se remit à ses tâches culinaires, pour apercevoir des chausses noires devant elle. Elle se leva brusquement, prenant l’espace de quelques instants conscience de la situation, jusqu'à ce qu’une longue lame dentelée s’enfonce dans sa gorge à une vitesse foudroyante. L’assassin, tout de noir vêtu, arborait le masque d’un félin, son bras tendu soulevait presque sa victime du sol. Une seconde passa comme au ralentit avant que les mains de la Sentinelle ne brassent désespérément l’air pour attraper ses armes. Le monde devant ses yeux devenait rouge, son agresseur ne cillait pas, stoïque et droit devant la mort qui s’installe. Puis il bougea la tête de côté, accompagnant son geste d’une torsion vive du poignet qui fit tourner la lame dans la plaie. Un craquement sinistre, un gargouillement grotesque, un bourdonnement crescendo qui envahit son crâne, ses bras qui tombent inertes, l'écume carmine qui envahit sa bouche, la sensation de se noyer sans pouvoir se débattre… La Sentinelle s’écroule. Sa dernière image est celle d’un homme chat essuyant sa lame en la regardant, le visage fermé d'une sourde colère… Aurait-elle offenser les dieux… Et puis plus rien, le vide, partout, le repos…

Fochtown détacha délicatement la Hilneth, jouant de précautions pour éviter d’autres souffrances. Il lui donna un peu d’eau en priorité puis la chargea sur son épaule. Elle était plus légère qu’une enfant… En repassant devant le cadavre de la Sentinelle, il s’immobilisa un instant pour épouser la scène du regard. Il déposa la druidesse au sol et fouilla dans ses poches pour en sortir deux fléchettes primitives, qu’il planta dans le corps de la Sentinelle, puis la dépouilla de ces maigres biens. Il s’évertua par la suite a saccager le camp de divers coup de pied vaguement rageur pour faire croire à une infortunée rencontre avec la horde…

Satisfait de l’effet mais le visage sombre, il reprit la Hilneth gémissante dans ses bras et s’infiltra dans les ombres protectrices… Naneth risquait d’être furieuse pensa t’il en souriant malgré lui…

Quand Merende arrive au camp avec sa fille ce soir là, elle sent immédiatement que quelque chose c'est produit.
Elle avance prudemment, serrant la petite contre elle.
Son regard est attiré par la hutte de Vérity, il y a quelqu'un dedans !

Merende s'arrete un moment pour cacher sa fille dans sa hutte, puis elle se change en félin afin de mieux capter les odeurs du camp.

L'odeur de Vérity émane de sa hutte, celle de Fochtown aussi mais plus diffuse.
Merende s'avance, entre dans la hutte et trouve Vérity, faible et visiblement blessée.
Immédiatement la druidesse reprend sa forme d'elfe et se précipite vers Vérity afin de l'examiner et lui prodiguer les soins nécessaires.

Elle restera toute la nuit à veiller sur la jeune Hilneth.