Mahelys

« Quelques mots… juste écrire que… Naneth m’a faite Heryn il y a peu de temps, une marque de confiance qui m’a tellement touchée… et qui suscite beaucoup d’inquiétudes au fond de moi !

Quand Naneth m’a convoquée devant sa hutte avec Cënëdril, qu’elle m’a annoncé ce changement que je n’attendais pas du tout, j’ai été prise de tremblements incontrôlables … je crois que ça ne s'est pas vu, je l'espère !

La raison de cette crainte … c'est que l’espace d’un petit instant, j’ai revu Ilassa me donnant Aradas et me demandant de la seconder, en attendant son départ. Son départ !!
Naneth n’a pas dû comprendre le regard désespéré que j’ai posé sur mon frère debout derrière elle, quand elle m’a annoncé mon nouveau titre. Lui me souriait, il était fier de moi je crois, le fait qu'il soit là malgré tous ses tourments.. m'a touchée

Voilà. Je ferai tout pour être digne de ce titre.. Naneth n'a pas choisi ce moment sans raison »

« Hurlevent n’est pas une ville sûre, j’évite d’y aller sans un rhîwin auprès de moi, et j’adore savoir mon grand frère debout derrière moi. Il me protège mieux que quiconque !

Mais cette fois, je l’ai senti plus faible que d’habitude… pendant l’entretien que j’avais avec l’elfe que je devais voir, Khâline nous a frôlés, toute ronronnante ; j’ai interprété ses ronronnements impatients comme des mots : « Vite Mahelys, laissez Cënëdril venir me rejoindre »… Il fallait que je parle avec lui avant, j’ai essayé de faire au plus vite. Nous sommes sortis de l’agitation de Hurlevent, je lui ai confié ce que j’avais sur le cœur – en oubliant de lui dire le principal, évidemment – et il m’a confié qu’il souffrait… Il m’a montré son dos…

Je crois que jamais je n’avais vu pareilles plaies … Son dos était strié de marques de coups de fouets purulentes, le résultat de deux jours d’une chevauchée intense pour retrouver Naneth… Ses plaies n’avaient pas du tout été soignées, son plastron cognait et frottait contre son dos en permanence sur son tigre… J’ai senti toute sa douleur, j’aurais voulu la lui enlever... j’aurais voulu crier, le gifler de se faire autant de mal.. mais il a fait ça par devoir et par altruisme, comment le lui reprocher ?

Sans rien laisser paraître, j’ai désinfecté et bandé ses plaies en piteux état. Il est parti retrouver Khâline… et j’ai prié les esprits pour que ses blessures cicatrisent…»

« Voir Merende dans cet état, ne rien pouvoir faire pour l’aider… me met hors de moi ! J’ai compris… depuis qu’il l’a ramenée, j’ai tout compris, j'en suis sûre… Non ! Il y a une chose que je ne comprends pas… elle m’a demandé d’être une Heryn, j’ai pensé que ce serait en partie pour l’aider…. Pour la soutenir…

Mais non, j’ai dû me tromper. C’est Naneth qui nomme une Heryn parmi les druidesses du Clan, pour s’occuper du Clan avec elle. Bien-sûr, ça l’aidera, mais pas de la bonne façon… Quel honneur,… quelle tristesse ! J’aurais tant voulu faire plus …

Ce soir, elle me demande de diriger le Clan pendant quelques jours, pour sa réunion à Reflet de Lune. Cette marque de confiance totale… une confiance et un respect mutuels, plus que partagés… et pourtant, elle se dérobe à chaque fois que je réussis à surmonter mes craintes pour lui parler d’autre chose que du Clan. Lui parler d’elle-même, de cœur… à cœur !

Elle a eu une vie très dure jusqu’ici, du peu que je sais. Sans personne à qui se confier… Hiril ne passe pas souvent,… elle n’a pas grand monde. Elle a plein de monde autour d’elle, mais peu la voient vraiment, peu voient la personne. Kathryl l’a vue ! Et je crois qu’elle a compris que je suis là. Et une petite fée est arrivée au Clan, une jeune guerrière qui semble aussi inquiète que moi pour Merende. Nous voit-elle ?

Les mots s’emmêlent, j’arrête là. Je n’en dors quasiment plus… comme j’aimerais retourner dans la relative sécurité d’une taverne, tout noyer, tout oublier … non, et non. Quelle idée ! c’est la solution de facilité »

Plusieurs pages défilent, s'approchant dangereusement du présent..


« Je reprends la plume … Hier soir, nous avons vaincu Onyxia… Le combat aurait dû être chaotique, et bien il s’est passé dans la quasi-perfection… C’est après que le tourbillon est arrivé…


Nous sommes allés boire, fêter la victoire ! Cënëdril a servi copieusement de l’alcool à tous les membres et amis du clan… Tous sauf Kathryl et moi, à peu près les deux seuls à être restés sobres ce soir-là.
Le clan… je ne l’avais jamais vu dans cet état… Comme s’il noyait toutes les peines accumulées en son sein ces dernières semaines… dans les verres d’une seule soirée. Autant dire que le spectacle était pitoyable… d’ailleurs la jeune Daltheema avait l’air complètement choquée par le spectacle, la pauvre

Un peu plus tard dans la nuit, j’ai cru devenir folle en voyant Kathryl descendre d’une chambre avec Galadrinn… Par les esprits, je … je n’ai pas pu me calmer, j’ai juste couru hors de l’auberge et galopé jusqu’à tomber sur Shore … Cënëdril m’a suivie, il m’a tellement touchée, il avait l’air inquiet de me voir perdre mon calme, j’espère ne pas m’être énervée contre lui.

Je me souviens m’être retrouvée peu de temps après dans le bois d’Elwynn, seule avec Kathryl… là, souffrance et espoir se sont donné la réplique au fond de moi pendant toute la conversation . Kathryl m’a confié un large bracelet en cuir à lacer autour de mon poignet, pour que son oiseau Vella puisse s’y poser… une marque d’estime et de confiance qui m’a émue et en même temps… perdue encore un peu plus

Et comme si cela ne suffisait pas… comme un poignard qui s’enfoncerait doucement en moi, j’ai senti un vide, un gouffre s’ouvrir… Puis j’ai compris ce qu’il y avait… Cënëdril venait de couper son lien avec l’esprit du clan ! « Cënëdril l’un des piliers du clan », ont dit certains, « Cënëdril mon frère !! » ai-je pensé ! Perdre encore un peu de ma famille, le perdre, lui

Comme il devait souffrir à ce moment précis.. Ça m’a fait.. mal !….. Tout le monde avait l’air surpris, et le couteau s’est encore enfoncé un peu plus.. quand j’ai dû le dire à Merende… »

« Cet après-midi, j’ai essuyé les larmes de ses joues … j’aurais voulu trouver les mots, changer les choses, la serrer dans mes bras et prendre toute sa douleur…

Comment ne pas devenir méfiant quand on a été trahi par des membres de son propre clan, des personnes en qui on avait mis toute notre confiance… j’aurais dû prendre deux elfes sous notre protection aujourd’hui ; l’état de mal dans lequel est plongé le Clan m’a bloquée, je .. je n’ai pas pu les amener au campement… peut-être devrais-je redevenir une hîlneth, ou si je le pouvais, une laerin… mais… je ne pourrais jamais laisser tomber Merende et encore moins en ce moment

Tant de choses sur le cœur… mais cette nuit, je prends surtout la plume pour raconter que j’ai revu Cënëdril… et qu’il ne compte pas revenir au clan. Je n'avais pas le droit de me laisser aller aux larmes, je suis restée digne devant lui, et surtout devant Khâline et les autres. S’il savait tout l’espoir perdu qu’il m’a redonné quand je l’ai retrouvé… jamais je ne lui dirai, trop de choses lui écrasent déjà les épaules… aussi robustes paraissent-elles »

« Naneth a emmené sa fille ailleurs, dans la forêt je crois… après toutes ces déceptions, ces trahisons, je n’aurais sûrement pas fait autrement. Elle m’a « confié les clefs du campement », mais ! Je ne sais pas comment prendre cette phrase qu’elle a prononcé, je préfère ne pas savoir…

.. Car c’est mon désespoir que j’emmène hors du camp, toute la journée… j’ai commencé une formation de chasseresse ! Un besoin irrépressible de communier avec les animaux, d’échapper à la complexité de tout ….

Cette formation me rapproche de Kathryl, il accepte de m’enseigner la voie des bêtes… si.. s’il était au clan il serait.. non ! c’est n’importe quoi, jamais je ne le prendrai à Galadrinn, quels que soient les rangs à tenir. Par les esprits… pourquoi lui, pourquoi elle, et pourquoi moi ? »

« Ce soir à Darnassus, Kathryl est venu me retrouver … il n’est pas tombé sur moi par hasard, j’ai vu Vella venir en repérage juste avant son arrivée ! il me fait sourire.. voire même, rire ! Ça fait un bien fou…. Avec lui, les trahisons, le désespoir, les larmes de Merende, tout s’envole – presque – et nous n’avons pas vraiment à parler pour nous comprendre.

J’adore parler des animaux avec lui, il a beaucoup de choses à m’apprendre et il me les partage avec un plaisir évident ! Le jeune lion qu’il m’a confié est fougueux et joueur, mais doux comme un agneau… sauf quand il s’agit de me défendre. Ce félin me rend la joie de vivre qui me quittait peu à peu…

Et j’ai aussi vu Cënëdril… ça faisait une… une éternité… que nous ne nous étions plus vus, il avait l’air ému, moi aussi je l’étais .. s’il n’y avait pas eu Kathryl, Khâline, et les inconnus autour de nous, j’aurais plongé dans ses bras et je n’en serais plus sortie. Nous avons échangé quelques mots… beaucoup plus d’émotions que de mots


Finalement, c’est quand il est parti que toutes mes défenses se sont envolées… pauvre Kathryl, il a dû paniquer en me voyant agenouillée, le visage baigné de larmes ! Il m’a relevée comme une enfant, toute ma fierté était posée quelques pas plus loin ; en y repensant, quelle honte… il a été d’une grande patience. Je me demande si c’était uniquement de la patience »

« Cela faisait plusieurs jours que nous voulions nous parler Galadrinn et moi. Nous nous sommes retrouvées au Bosquet Eternel, dans la Sylve Ruuan.. un lieu qu’elle a l’air d’apprécier autant que moi.

Nous sommes tout de suite entrées dans le sujet, j’avais l’impression que nous étions enveloppées dans un malaise mutuel.. j’aurais voulu éparpiller le nuage de gêne avec la main, et retrouver la Galadrinn souriante des autres jours.
Mais non, en face de moi, j'avais une elfe tourmentée, elle m’a semblé rongée par la peur de perdre son amour… écartelée entre son "éducation" et ses sentiments.

Je n’ai pas été surprise quand elle a voulu me laisser Kathryl, l’a-t-elle été quand j’ai refusé son « sacrifice » ? Cette scène était gravée à l’avance… je l’avais dit à Kathryl et il était d’accord avec moi… mais je crois qu'il fallait que cette scène, Galadrinn et moi , nous la jouions quand-même … Ce fut moralement très éprouvant.. je pense pour l'une comme pour l'autre

Galadrinn a tout de suite été très claire… « Vous en avez le droit Heryn, nos lois sont très claires, si vous le voulez, vous le prenez » Je lui ai dit que je ne le lui prendrais jamais… elle m’a dit que le bonheur d’une Heryn était plus important que le sien. Je ne suis pas d’accord ! Le bonheur de chaque être du clan est important ! Une Heryn doit savoir tenir son rôle et pouvoir refouler sa souffrance. Galadrinn fait partie du Clan, elle est la partie d’un tout !

Elle n’a rien voulu savoir… elle a été jusqu’à dire qu’elle en trouverait d’autres, que ce serait facile.. ses yeux disaient exactement le contraire, je n’ose pas imaginer ce qu’elle a ressenti en prononçant de tels mots… en fait, je l’imagine très bien parce que c’est exactement ce que j’essaie de me dire pour oublier Kathryl… et ça a l’effet inverse.

Sous l’émotion, je me souviens avoir posé la main sur son épaule… geste qui a dû lui paraître étrange… mais au bout de quelques minutes, j’ai enlevé ma main… je n’en pouvais plus d’essayer de lutter pour que Galadrinn garde un homme, cet homme-là ! Je lui ai juste répété que maintenant qu’elle l’avait… elle le gardait.

Elle a menacé de le laisser…. Ça aurait entraîné encore plus de souffrances, et Kathryl dans tout ça ? J’ai paniqué ! Elle m’a récité ces lois que l’espace de quelques minutes, j’ai haï :
« Une Heryn a tout pouvoir
Une Heryn choisit un mâle, qui lui est réservé »

Je lui ai dit qu’alors, je n’étais plus Heryn ! Quand ces mots ont franchi la barrière de mes lèvres, j’étais fébrile, prête à tout pour que Galadrinn ne perde pas Kathryl et pour que Kathryl ne perde pas Galadrinn !
Elle a eu un drôle de sourire… et elle m’a dit qu’Heryn, je l’étais pour toujours.. une impression de flottement… sans Naneth, je ne suis qu’une druidesse au service de son clan, je ne suis rien, exactement comme le disait Galadrinn pour elle-même juste avant… J’étais émue à l’extrême, Galadrinn dévoilait un autre pan de sa personnalité, ça me renforçait dans l’idée qu’elle devait rester avec Kathryl…

Et puis elle a pris une plume, une feuille, m’a fait un baiser sur la joue et a commencé à écrire… pas la peine de lire, je me suis dit qu’elle écrivait à Kathryl pour le quitter, ou quelque chose comme ça. J’avais tout tenté.. désespérée, fatiguée, je lui ai pris la plume des mains…

Et sa question m’a achevée, elle l’a posée sur le même ton désespéré et fatigué…
« On fait quoi, alors ? »

J’ai juste réussi à lui dire que Kathryl était un ami précieux, qui m’aidait à surmonter de grosses épreuves… que lui dire d'autre ? Chacune est repartie de son côté, à demi-convaincue, résolue à laisser sa part de bonheur à l'autre.

« j’aime chaque parcelle de lui, je veux respirer l’air qu’il respire, m’imprégner de lui, perdre tout ce que j’avais, oublier tout ce que j’ai appris dans les bras d’autres hommes, et tout retrouver avec lui. Et Galadrinn, par amour pour lui, par amitié pour toi et par devoir pour le clan, je te le laisse ! »

« A l’abri du feuillage d’un baobab, je repense à ce début de nuit… est-ce que c’était un rêve ? Plusieurs fois, je me suis pincé le bras pour vérifier que j’étais bien dans notre réalité et non dans un songe…

Je sens mes cheveux et mes vêtements, ils portent encore son odeur mêlée à la mienne. A l’heure qu’il est, il doit être rentré auprès de Galadrinn.. aucune once de jalousie, juste l'effet de manque de sa peau. Elle a dû remarquer mon parfum dans le sien… elle savait que ça arriverait, elle m’a même tendu la main … mais j’espère de tout mon cœur que ça ne lui fera pas de mal, cette situation est vraiment étrange »

Nous y sommes.... la dernière page est noircie d'encre, les suivantes sont encore blanches. Le présent est à bout de plume...


« Trois esprits perdus, un rêve distordu, des baisers volés, trois enfants rieurs courant après des boîtes roses. Qu’y a-t-il dans ces boîtes ? La solution à notre problème ? Trois cœurs énormes, remplis d’empathie et d’amour. Un triangle à deux angles aigus et un angle obtus.
Plus que quelques jours… il ne me retiendra pas ! Des chaînes ou une main tendue ne suffiront pas »

Le papier est légèrement gondolé, c’est comme si une pluie fine était tombée sur cette page du journal


« Ce n’est plus qu’une question d’heures… Ma sœur m’en veut beaucoup de l’emmener, et elle me le fait clairement sentir ! Elle <goutte séchée> le choix, le voyage est trop long pour que je parte seule, nous irons ensemble.

J’ai dit à Kathryl que ce n’était pas une fuite… en lui avouant le contraire il m’aurait rattra <goutte séchée> veux juste qu’il vive en harmonie avec Galadrinn.. l’oublier et me faire oublier

Un jour, il m’a dit que ça ne s’oublierait jamais…. C’est vrai, mais nous enfouirons nos souvenirs au fond de nous, et nous poursuivrons notre route … oublier l’électricité, l<goutte séchée> mieux vaut que ça finisse maintenant, avant qu’il ne soit trop tard pour reculer. Je n’arrive même plus à assurer mon rôle d’Heryn, je ne peux plus être objective.

C’est fini.. <goutte séchée>rer un trait ou ne jamais rentrer au camp !.. A mon retour, si je trouve le courage de revenir, aucune émotion ne me secouera plus. »

« Trois jours que je survolais le camp, me posais sur l'épaule de l'un, mangeais dans la main de l'autre

Cette petite "retraite" m'a permis d'observer les Daendil, je sentais non pas les visages mais les *émotions* de chacun : mélancolie, tristesse, douleur, colère mais aussi joie de vivre, sérénité, indifférence..
Des choses se sont améliorées depuis mon retour de voyage, d'autres continuent sur le même chemin .....

Et puis il fallait bien que je me pose, pour mon frère qui a terriblement besoin d'aide - que faire, que faire !?! - pour Merende aussi qui semble à bout de patience.. Alors voilà, c'est chose faite.

J'écris depuis ma hutte, un voile à l'entrée et mon fidèle lion à mes pieds me protègent de ces âmes compliquées.

Être là, veiller sur eux comme un oiseau suspendu dans sa cage, ne pas, ne plus entrer dans leurs jeux destructeurs »

« Idhren a eu des mots très durs pour Galadrinn, il va très, très loin… Il y a une telle férocité en lui, son esprit est aussi aiguisé et tranchant que ses griffes ! J’éprouve un trop grand respect pour lui, je sais très bien que jamais je ne répondrai – même pour cette Laerin-là …. Et je m’en veux de cette lâcheté par principe !!! Et ça ne changera jamais, ni pour le caractère d’Idhren, ni pour le mien…

Seule les présences d’une jeune Hîlneth et d’une petite elfe, les pauvres, m’ont apaisée sous les paroles extrêmement violentes qui ont été prononcées au camp aujourd’hui »


Un large espace sépare les deux paragraphes, le journal a peut-être été continué un peu plus tard dans la même nuit, dans l'ignorance des nouveaux évènements


« Il me cherche et je le cherche et j’essaie de rester aussi légère que la brise, à peine un souffle sur son visage et nous nous séparons l’un de l’autre.. le comprend-il ? Je sens des étoiles dans son ventre quand il m’approche et il doit sentir les étincelles en moi, c’est comme une puissante alchimie, et nous en restons là. Notre empathie fait le reste, il n’y a rien à dire ou à faire ! C’est plus fort et plus compliqué que ce que j’ai vécu avec d’autres hommes,.. même Annael ...

Comme me l’a dit l’une de nos Laerin, c’est la saison du renouveau…. Et pourtant, je vois des plantes se faner autour de moi !.. Il est l’un de mes seuls soutiens, n’a pas vraiment besoin de se servir des mots pour faire pétiller un peu d’espoir en moi, me redonner confiance. Et j’espère réussir à apporter la même étincelle d’espoir et de courage à chaque fleur que j’épaule en silence, le plus discrètement possible »

Mahelys est assise en lotus sur une branche, en pleine forêt elfique. Une lueur encore plus sauvage que d'ordinaire luit dans ses iris argentés, c'est comme si une très grande tristesse faisait parfois s'envoler sa raison.

Elle se stabilise sur sa branche et sort de son sac son journal, une plume et un petit encrier. A la lueur d'une luciole apprivoisée, elle écrit quelques mots, le poignet léger et le regard distrait.

« Enracinés au sol
les arbres éternels
s'accrochent à la terre
sous le ciel qui les charrie

Chuchotements en bouts d'ailes
elles frôlent le toit des huttes
personne ne les sent
mais leur simple présence
rend l'atmosphère autour
apaisante et vivante
tout juste éclairée
par une ou deux étincelles »

[en même temps, un petit hommage à mon ami et poète Stéphane Méliade]

« Comme le temps me semble distendu depuis le retour du Puits d’Éternité… La journée d’hier était irréelle… tant de peur et d’émotion en allant prélever l’eau au mont Hyjal – n’en avons-nous pas emporté trop ? Cette eau ne doit pas sortir du Puits… c’est comme prélever du sang, à la source de l’écorce-monde…

Tant d’anxiété en regardant Idhren préparer son élixir , après un sacrifice immonde mais nécessaire. Et surtout, tant de douleur partagée au moment d’aller voir Cënëdril … c’était probablement la dernière fois avant le rite. Agenouillée près de lui avec Merende et Kathryl, nous avons senti sa peau extrêmement froide, ses membres déjà presque rigides, son souffle beaucoup, beaucoup trop lent… et son esprit qui flottait juste sur son corps, comme prêt à couper le fil.

Tout dans cette maison semblait aspiré par la présence de la mort. Khâline semblait épuisée, et abattue. Même ma fleur d’Heryn posée là brille toujours, mais se fane. En silence, je me suis concentrée pour apaiser Cënëdril… il ne semble pas souffrir physiquement.. nous devrons l’emmener à l’autel près des cavernes ancestrales du Clan, et lui faire boire l’élixir au plus vite. Ensuite ….



Officiellement, je suis partie cueillir des fleurs de nuit. Me voilà dans un lit qui n’est pas le mien, à côté de moi est encore endormi celui que je ne suis pas sensée voir. C’est comme si les esprits avaient voulu se faire pardonner des souffrances de cette journée, en me permettant de ressentir les émotions opposées le temps d’une nuit volée

Nous en avions tous les deux besoin.. Mais ça ne durera pas éternellement, et il faut que j'aille rassurer Galadrinn, l’aider à tenir malgré la puni »


Le son feutré des draps qui remuent soudain suspend la plume que tient Mahelys. Son journal glisse sur le sol tandis qu'elle se tourne vers l'elfe qui s'éveille à côté d'elle.

Mahelys est assise en lotus au fond du lac, les yeux fermés. Seules quelques bulles remontant régulièrement à la surface trahissent sa présence. Il lui semble que le niveau des eaux a monté....

"Combien de Daendil ont déversé leurs larmes dans notre lac ? Le Clan s'est toujours accroché pour survivre. Comme c'est arrivé par le passé, beaucoup ont perdu espoir aujourd'hui.. et d'autres gardent la tête haute et vont de l'avant !
Jamais je ne briserai le lien et jusqu'à mon dernier souffle, comme ce sang dans mes veines, je serai Daendil."

L'Heryn entrouvre les yeux et frissonne au passage d'un courant froid sur ses bras nus.

"Si jamais on brûle le camp je brûlerai avec lui."

[Previously on Journal de Mahe !]

[12 juillet]
« Ada * ! Où es-tu... tant de questions se soulèvent, aujourd'hui plus que jamais. Sage Daendil .... tu savais en m'apprenant la langue, les coutumes et les rituels de nos ancêtres, qu'un jour je découvrirais le clan !

L'esprit de Daendil semble abandonner les flammes du campement, ou ma fleur d'Heryn, aide-moi à éclaircir tous ces mystères ! Donne-moi un indice pour que nous puissions retrouver Naneth.... »

Griffu pose la tête sur les genoux de l'Heryn. Elle ferme son carnet et lui sourit malgré elle. Puis elle s'agenouille au centre de sa hutte et jusque très tard dans la nuit, murmure en Daendil des paroles fiévreuses tournées vers les esprits.


* Ada : "Père"



[20 août]
Une épaisse obscurité enveloppe le campement endormi. Mahelys sort de sa hutte précédée de son lion, et siffle doucement. Une eithelin sort des écuries en tenant les rênes de la monture de l'Heryn.

« Une minute, Etoilée. Pars en avant avec les tigres, je te rejoindrai. »
L'eithelin incline la tête avant de s'éloigner alors que Mahelys se dirige vers le feu.

La druidesse ferme les yeux et pose un genou au sol. En murmurant des paroles Daendil, elle disperse une poignée de poussière qui fait crépiter les flammes. Elle se relève au bout de quelques instants, et alors que le camp est plongé dans un sommeil sans rêve, s'envole pour rejoindre l'eithelin.

Le feu reprend un peu de son ardeur perdue pendant le rituel, puis redevient normal. Une fine fumée s'en échappe, s'élevant dans la nuit noire.

« - T’es aigrie ! Et fermée comme une huitre !
- Mais… Mais, Etoilée ! Ca ne va pas ?!
- Moi ça va très bien, merci ! Et toi ? T’as vu ce que t’as dit à Yijael tout à l’heure ? C’est qu’un rhiwin mais quand-même !! On a retrouvé ada tu devrais être heureuse, et au lieu de ça, t’es encore pire que cet été !
- Ohhh ! Je ne te permets pas ! »

Le silence retombe, Etoilée ne se démonte pas, et croise les bras en fixant Mahelys. Dans la tête de la druidesse, les mots de sa sœur résonnent, et son visage traduit les émotions qui la traversent successivement : décontenancée, révoltée, choquée, irritée, atteinte dans sa fierté… et dans sa carapace !

« - C’est Kathryl… Allez… Avoue ! Faudra bien que t’en parles à quelqu’un, et j’suis à peu près la mieux placée pour ça malgré mon rang… Accouche !
- Rohh Etoilée… tu as de la chance d’être ma sœur !! Bien-sûr que c’est lui. On s’est vus, il y avait Naneth et Cenedril aussi, et il a juste demandé à leur parler « seul à seul ». Ils sont partis tous les trois, puis plus rien… alors qu’on ne s’était pas revu ni parlé depuis….. c’est idiot ce… »

Ses mots se perdent dans un rire sonore et crispé, son regard dans le vide.

« - C’est pas idiot, t’en a chié avec toutes ces décisions et ces trucs, et voilà pas que le mâle qui te gardait les pieds sur terre s’évapore sous ton nez. Moi j’te le dis. Myrah a complètement raison, on est mieux seules ! Et c’est plus simple
- Je n’en ai pas « chié » et… bref ! Peut-être que la théorie de Myrah est vraie mais sans Kathryl…. »

Mahelys cligne des yeux plusieurs fois et change de sujet. Carquois sur le dos et arc à l’épaule, les deux sœurs continuent de parler sur le sentier qui mène au campement, oubliant leurs rangs respectifs… quelques instants.

Plusieurs pages ont été tournées depuis ces derniers mois.....

« Le bateau approche de la côte de Sombrivage, et déjà mon cœur bat plus vite. »

Un peu plus loin :

« Nous sommes arrivées... Etoilée est passée devant, elle a trouvé la hutte presque à l'abandon. Mais elle m'a dit que le campement était bien vivant....
J'écris au pied d'un arbre de la forêt d'Orneval, ma chère forêt, et j'ai peur de rentrer et que tout ait changé..... »

Page suivante :

« Rien n'a changé et tout en même temps ! Le campement est toujours là, avec le feu bien vif, et le thé. Ce thé... jamais je n'aurais cru qu'un jour il me manquerait !
Ce qui va être gênant, c'est qu'il n'y a plus de café. Il faut que je voie avec Yijael si quand-même,... peut-être...

Un nouveau rhîwin est arrivé, un natif ! Athaloryon, il m'intrigue un peu. C'est une bonne chose pour le clan ! Et le clan va bien, même s'il y a toujours les accrochages habituels... Kaeril semble à bout de nerfs, et Yijael y a apparemment laissé un ou deux doigts.... Myrah a changé, comme si elle avait... vieilli, dans le bon sens du terme : plus sûre d'elle, plus dans l'initiative, plus affirmée. Et quelle joie de l'avoir retrouvée ! C'est quand on est éloigné des personnes qu'on aime qu'on comprend à quel point on tient à elles.

Idhren est passé au campement pour soigner Liloë. Khaline était là, elle voulait absolument aller le voir, par les Esprits elle se montrait tellement virulente que j'ai cru à chaque instant qu'Idhren allait finir par lui montrer sa vieille dague.
Même nous, nous ne demandons pas les secrets à notre ancien. C'est lui qui décide de ce qu'il nous transmet, et quand. Khaline nous prend peut-être pour une tribu incapable de soigner les siens, et elle ne serait pas la première ....

Je n'ai pas revu Kathryl, le clan passe avant tout, je m'en rends encore plus compte en rentrant ce soir. Peut-être que Khaline lui apprendra qu'Etoilée et moi sommes revenues...
Mieux vaut ne pas y penser et être avec mon clan, il reste peu de temps »

Des lignes raturées, ce qui a du être une esquisse de portrait sur laquelle de l'eau a été versée... le journal est du coup complètement gondolé


« ...ndre la fuite. Pourquoi il n'est pas Daendil ? »

Il y a encore quelques mois elle aurait réagi violemment !

Mahelys est assise en lotus au centre de sa hutte et tente de respirer calmement, de faire le vide. Mais le sol tangue autour d'elle ....

Elle ferme les yeux mais les traits de son visage changent au fil de ses pensées
"Il n'est pas venu au rendez-vous qu'il m'avait donné.... C'était si important ! Il lui est peut-être arrivé quelque chose.... ou il est parti dans le silence, pour ne pas changer d'avis au moment de me le dire"

Pendant des heures elle tourne et retourne ces phrases dans sa tête, jusqu'à ce que le sommeil termine de la consumer.

Deux bouts de parchemin collés dans le journal

"une étoile si froide
qu'un oiseau rouge s'envole
pour la secourir"

"un oiseau si haut
qu'une étoile se décroche
pour le secourir !"

Légende :
« Soirée fraîche de printemps avec Feuillenuit, Myrah et plus ou moins Fallae »