"On jouuuuuuue ?"

"Quoi ?

- Essaie de m'attraper !" poursuivit Diryana dans un grand éclat de rire, avant de s'enfoncer dans la forêt.

Kaeril secoua la tête, l'air désespéré. C'était à chaque fois la même chose. La jeune Hîlneth l'emmenait en marge de Féralas, au pied d'une grande cascade, et il la suivait d'un pas distant. Officiellement, il assurait sa sécurité. Les entraînements prolongés de Diryana pouvaient être dangereux pour elle, sans parler de la forêt elle-même. Officieusement, il était aussi une oreille attentive et dévouée aux problèmes de la druidesse. Au fil des entraînements et des conversations prolongées durant des heures, il avait tout appris de ses craintes, de ses doutes, du sentiment de culpabilité qui la rongeait depuis le jour où elle avait agressé Hiril. Diryana devenait alors moins joyeuse. Son visage s'assombrissait, sa voix se faisait faible et elle baissait le regard en se confiant à lui. Kaeril redoutait le jour où elle s'effondrerait en larmes : il aurait alors le devoir de la réconforter, de la prendre dans ses bras, et peut-être plus encore. L'idée le mettait forcément mal à l'aise. Ce jour approchait de manière perceptible; en avait-elle seulement conscience ?

Cependant, il était invariablement tiré de ses pensées par une Diryana qui, se resaisissant, décidait de se changer les idées en jouant avec lui. Un jour, elle lui avait demandé de la porter sur ses épaules pour le trajet du retour au camp. Que le monde lui avait paru différent vu de plus haut ! Un autre jour, elle l'avait carrément poussé à l'eau, uniquement par jeu, et il était ressorti sous ses moqueries bienveillantes, stupéfait, bougon et trempé. Et voilà qu'à présent elle voulait jouer à cache-cache. Dans ces moments-là, elle lui rappelait que son enfance n'était pas si loin derrière elle, et qu'elle pouvait encore se comporter avec lui comme on le fait avec un nouveau jouet.

Kaeril la vit partir en gloussant vers un tilleul situé devant eux. Il compta mentalement jusqu'à dix, puis décida de s'y rendre à son tour. Evidemment, elle ne s'y trouvait déjà plus, et cela ne le surprit qu'à moitié. Grimpée dans une des premières branches de l'arbre, Diryana n'eut aucun mal à lui tomber dessus, criant d'un "Bouh !" pas même retenu. Malgré son poids plûme, l'effet de surprise et son consentement suffirent à le faire basculer, et elle se retrouva assise sur le dos du Rhîwin, l'écrasant gentiment et riant à gorge déployée.

Il resta ainsi, immobile, jusqu'à ce qu'elle lui permette de se relever en descendant de son dos. Blasé mais souriant, il concéda :

"Très bien, d'accord, vous avez gagné.

- Encore une fois ! répondit Diryana, toujours en riant.

- On devrait bientôt rentrer, Hîlneth, avant la tombée de la nuit" fit-il remarquer, toujours calme. Mais il n'avait pas terminé sa phrase, que Diryana était déjà repartie.

Kaeril se lança à sa poursuite, d'abord en traînant des pieds afin de lui laisser un peu d'avance. Diryana semblait soudain très enjouée, débordante d'énergie, et elle courait d'un arbre à l'autre avec une grâce féline. Rapidement, le Rhîwin fut obligé de courir à son tour pour ne pas la perdre de vue.

"Ce n'est pas très prudent, Hîlneth", maugréa-t-il, juste assez fort pour qu'elle l'entende, mais pas trop pour ne pas paraître autoritaire. Il avait beau être de plus de quatre cents ans son aîné, il n'oubliait pas qui commandait. Mais la druidesse se contenta de rire à nouveau, déployant toute son énergie à essayer de le semer dans la forêt. Elle courait de plus en plus vite, changeant de forme sans y penser pour prendre l'aspect de la panthère. Kaeril s'arrêta net, comprenant que ses efforts seraient vains, et il observa, impuissant, Diryana s'esquiver derrière un talus pour disparaître de son champ de vision.

"Alors ça, c'est vraiment de la triche", souffla Kaeril pour lui-même. Au bout d'une minute à peine, il dût se rendre à l'évidence : il avait complètement perdu sa trace. Même le rire cristallin de la druidesse s'était perdu dans les gazouillements de la forêt.

Il commença à crier : "Hîlneth !?", hésitant sur la direction à donner aux recherches. Aucune réponse ne lui revint. Par où était-elle passée ? Il regretta amèrement l'absence d'une Eithelin telle qu'Ilyrana. Une chasseresse habituée à cette jungle n'aurait sans doute aucun mal à retrouver une piste.

A l'embarras vint s'ajouter l'inquiétude, autant pour Diryana que pour lui. Il était hors de question de rentrer au camp sans la Hîlneth dont il avait la charge : ce serait un terrible déshonneur pour un Rhîwin, et un manquement à tous ses devoirs. Et s'il lui arrivait quelque chose dans Féralas, il en serait tenu directement pour responsable. Il n'avait pas le choix, il fallait la retrouver, et vite.

Heureusement, il n'eut pas à la chercher bien longtemps. Après avoir failli se perdre, il décida qu'il lui fallait reprendre depuis le point de départ, la cascade; et c'est exactement là qu'elle était revenue. Elle lui tournait le dos, toujours dans sa forme animale, la tête penchée vers son propre reflet dans l'eau. Il sembla un bref instant à Kaeril qu'elle parlait à quelqu'un, mais les sons étaient indistincts et il n'y avait personne d'autre. Soulagé, il l'interpela.

"Hîlneth, vous m'avez fait peur !", lança-t-il à son attention. "Il nous faut rentrer, maintenant."

Diryana se retourna, et lorsqu'elle arrêta son regard sur Kaeril, ce dernier eut un léger frisson de malaise le long de l'échine. Car son regard n'était ni joueur, ni bienveillant. La panthère se tenait face à lui, pattes avant élancées et pattes arrière redressées, prête à bondir à tout instant. Ses yeux dorés paraissaient froids comme l'acier, et surtout, elle arborait une rangée de crocs acérés et bien visibles. L'elfe eut un léger mouvement de recul. Il se risqua même à l'interroger d'un simple : "Hîlneth ?" De toute évidence, quelque chose n'allait pas.

La druidesse s'élança en avant, toutes griffes dehors. Il lui fallut moins de deux secondes pour arriver sur l'elfe et lui sauter dessus, sans prévenir. Kaeril la trouva bien plus lourde sous son aspect animal, anormalement lourde même, et il tomba à la reverse, involontairement cette fois-ci. "Hîlneth !" essaya-t-il de crier, mais il s'interrompit et poussa un hurlement. Diryana venait de planter ses crocs dans son ventre, traversant sans difficulté le tissu de sa robe, profondément jusque dans la chair.

Son sang ne fit qu'un tour, et un éclair d'incompréhension suivit celui de la douleur, atroce, dans ses yeux. Cela n'avait plus grand-chose d'un jeu ! Le Rhîwin commença à se débattre pour tenter de se libérer de l'emprise de l'animal jeté sur lui. Il n'osait pas encore frapper directement : s'en prendre à une Hîlneth, quelle qu'en soit la raison, était un acte grave, qui pouvait s'apparenter à une trahison. Mais lorsqu'elle commença à lui lacérer le visage avec ses griffes, il décida que tout compte fait, il n'avait plus très envie de devenir Daendil si cela signifait se laisser tuer sans réagir.

D'un bon coup de pied dans le ventre de la panthère, il l'envoya sur le côté. La bête roula sur elle-même et atterrit dans des ronces, ce qui lui arracha un rugissement à glacer le sang. Kaeril se releva promptement, trop vite peut-être : il fut pris d'un vertige. Sa vue se brouillait, mais il percevait encore très bien le sang qui s'écoulait de ses blessures. "Hîlneth... !", s'écria-t-il encore une fois; ce n'était plus un rappel à l'ordre, mais un appel à l'aide. Diryana le fixa à nouveau dans les yeux. Etait-ce bien la druidesse Daendil avec qui il jouait quelques minutes plus tôt ? En tout cas, elle était méconnaissable, non parce qu'elle avait l'aspect d'une bête féroce, mais parce qu'il se dégageait d'elle une sauvagerie et une cruauté proprement effrayantes.

Le Rhîwin fit alors volte-face et essaya de s'enfuir. Clopin-clopant, compressant sa blessure béante avec une main, il tenta d'atteindre la route principale de Féralas, espérant y trouver du secours.

Mais on ne va guère loin, lorsqu'on tente de fuir en boîtant un animal sauvage lancé à ses trousses. Il sentit la panthère planter ses griffes dans son dos, il la repoussa une fois avec son bâton. La deuxième fois, c'est elle qui fit voler son arme, et elle lui mordit le cou de toutes ses forces, arrachant la peau et jetant l'elfe une nouvelle fois au sol. Cette fois, il ne se relèverait plus.


Kaeril sentit sa douleur s'estomper en même temps que ses perceptions, et son esprit se mit à divaguer. Il lui sembla qu'on avait cessé de l'attaquer, et de manière assez confuse, il crut apercevoir Diryana, cette fois revenue à sa forme de Kaldorei, agenouillée devant lui, criant quelque chose qu'il n'entendait pas. Puis ce fut le brouillard.

Ce n'était pas encore son heure.

Diryana s'était penchée sur lui, horrifiée à la vue du sang qu'il perdait abondamment. Elle avait poussé un cri strident, qui avait résonné dans toute la forêt; et il avait été entendu. Ilyrana n'avait eu aucune difficulté à les retrouver et à porter secours. C'est ainsi que Kaeril fut ramené au camp Daendil, inconscient et dans un état sévère, mais vivant.

Il reçut les soins de Merende pendant plusieurs heures au cours de la nuit, tant et si bien qu'à l'aube, ses blessures avaient définitivement cessé de saigner. Lorsqu'il rouvrit les yeux, Diryana se tenait assise devant lui. Il fut d'abord soulagé de voir qu'elle n'avait rien. Puis il tenta de se lever, et abandonna aussitôt lorsque la douleur vint se rappeler à lui. Le reste de la soirée lui revint en mémoire au même moment. Il n'était plus très sûr de savoir ce qui l'avait attaqué. Etait-ce vraiment la druidesse ? Et plus important, pourquoi avait-elle passé la nuit à prendre le temps de veiller sur lui, un Rhîwin ? Des Rhîwin blessés, il y en avait au moins un tous les mois au camp. Tous n'avaient pas droit à un tel honneur.

Une chose était sûre, toutefois : il lui faudrait des jours, voire des semaines avant de retrouver tous ses moyens. Kaeril eut intérieurement une pensée pour Kharess. "Pourvu qu'elle ne s'inquiète pas", se dit-il, et il passa la matinée à songer à un moyen de l'avertir.

Lorsque votre crâne vous donne l'impression d'être une pastèque capable d'éclater au premier coup la première chose qui vous assaille est une peur tenace qui vous accroche le coeur. Mais ça n'est rien comparé à la douleur qui vous déchire le cerveau. Comme des couteau qui s'implante dans la tête , raclant tout les nerfs du crâne. Et lorsque l'on ajoute à cela cette impression que quelqu'un s'introduit dans votre esprit , niant votre souveraineté sur vos propres pensées et souvenirs , vous savez que vous passez définitivement un sale moment

C'était là que l'Hilneth en était. Hiril enfonçait ses doigts dans son crâne pour mieux percevoir ses souvenirs tout en se concentrant. La pauvre petite elfe hurlait de douleur. Elle n'avait pas imaginés qu'elle aurait mal à ce point ! Elle arrivait à peine à penser que cette douleur était nécessaire.

Très vite ses yeux se révulsèrent et elle perdit connaissance. Hiril avait pénétré dans son esprit et revoyait la scène de son point de vue. Elle apercevait Kaeril tentant de retrouver Diryana , elle même jouant d'artifice pour se dérober à sa vue. Elle percevait les sentiments aussi.

La joie qui se melait à l'excitation du jeu. Hiril ressentait tout cela et perçu aussi le brusque changement qui intervint. Lorsqu'un désir de violence , celui d'un chasseur voulant tuer sa proie , se melangea au reste. Le désir de se nourrir de sa proie aussi. Des désirs et des sentiments bestiaux.

Et Hiril vit Kaeril se faire mettre en charpie par l'Hilneth devenue bête.


Pour ne pas mettre sa vie en danger elle arrêta

" Fallae ! Ramène la dans sa hutte et surveille là ! Son esprit animal est bien plus puissant qu'elle ! "

Sur ses ordres le Randir la regarda , stupéfait . Ca n'était pas vraiment ce qu'il avait observé jusqu'ici , lui. Il la ramena dans sa hutte ou elle dormit plusieurs jours avant de revenir à elle.