Tenir le rang jusqu'au bout ...

La décoction que buvait Merende pour entrer dans le rêve était très amère, et cette même sensation de brûlure dans sa gorge la surprenait toujours, mais c’était le seul moyen d’entrer en contacte avec les esprits, ceux qui savent …ceux qui ont les réponses.

La druidesse se laisse transporter dans cet espace étrange, ce rêve dont certains ne reviennent jamais. Aussitôt des images du camp, des Daendils l’envahissent. Des images du passé mais aussi des images du futur et se sont bien celle-ci qui l’intéresse.
Son cœur se serre en voyant la splendeur du clan s’effriter inexorablement, inévitablement.
Les natifs sont de moins en moins nombreux, et leurs désirs de fuir les lois ancestrales et rudes du clan ne fait que croître.

Elle voit la peur et le doute sur les visages. Elle voit aussi la résignation, la sienne et celle des autres.
Elle voit la vie qu’elle aurait pu avoir si le village n’avait pas subit cette terrible attaque. Elle voit Yijael, ligoté dans une hutte depuis bien trop longtemps, attendant qu’elle prenne la décision dont l’issue peut être fatale. Décision qu’elle ne peut se résoudre à prendre de peur de le perdre à jamais …

Quelque chose la brûle sur son visage qui se crispe de souffrance mais elle doit tenir, elle doit obtenir la solution qu’elle attend.

Enfin, les spectres des anciens du clan se manifestent devant elle, s’inclinant et lui souriant. Ils savent ce que veux la jeune druidesse, ils sentent sa souffrance. L’un d’eux s’approche d’elle et pose sa « main » glacé sur son cœur. Merende hurle à se contact qui la fait souffrir atrocement. Un autre spectre approche et pose sa « main » sur son front. La druidesse croit devenir folle tellement la douleur est grande, elle se débat mais ne peut briser se contact.
Une voix grave et glacée comme la mort se fait entendre près d’elle :

- tu veux savoir comment faire n’est-ce pas ? alors résiste , soit forte ! si tu cèdes tu mouras et ton clan aussi, tous sans exception.

Merende lutte tant qu’elle peut pour ne pas sombrer.

Au bout d’un temps qui lui semble une éternité, des images se forment dans son esprit. Elle « voit » le rituel à accomplir pour libérer les Daendils sans les détruire, briser le lien sans qu’ils ne se consume comme c’était le cas pour Cënëdril.

Les spectres rient en lâchant leur emprise et Merende a la sensation d’une longue chute de plusieurs centaines de mètres de haut. Quand enfin, il lui semble que son corps touche le sol … douloureusement … elle ouvre les yeux et croise le regard inquiet d’Aerlinn.

- c’est mieux ainsi ma chérie, pour eux tous et pour que reste à jamais gravé dans les esprits la grandeur de notre clan. Je ne supporte plus de le voir s’épuiser et s’amoindrir. Cette nuit … tout sera fini.

La druidesse se lève péniblement et prend l’enfant dans ses bras, la serrant contre son cœur en pleurant en silence.

Merende sort de sa hutte au moment ou la première étoile scintille dans le ciel. Elle porte dans ses mains un petit pot de terre contenant une mixture étrange, épaisse et sombre.
Elle vient s’agenouiller près du feu au milieu du camp … la nuit est calme et les Daendils dorment paisiblement.

La druidesse sort une petite dague au manche en os très finement ouvragé, elle enlève ses gants et brassards afin d’avoir les bras nus et trempe la pointe de la dague dans l’étrange mixture.
Puis, elle ferme les yeux et attend quelques secondes que l’image du Daendil auquel elle pense se forme complètement dans son esprit.
Sa main droite, tenant la dague se lève et s’approche de son bras gauche. Quand la pointe de la lame entre dans sa chair, formant une petite entaille aux contours vert sombre, la druidesse prononce les paroles libératrices dans sa langue natale :

- les esprits m’ont accordé le droit de briser le lien, que ta vie libéré de ce poids soit heureuse et sereine ….

Merende fait de même pour chaque Daendil, essayant de ne pas tenir compte de la douleur provoqué par les entailles alignées le long de son bras et l’étrange mixture qui la brûle.
Quand enfin, elle le dernier Daendil est libéré l’intérieur de ses deux bras sont recouverts de petites cicatrices verts sombre …comme une multitude de brins d’herbe collés à sa peau pâle.

Enfin, affaibli et le visage crispé de douleur, elle se lève afin de rejoindre la hutte dans laquelle Yijael est prisonnier du clan.
Elle entre et lui sourit malgré tout, son cœur s’emballant à sa vue comme quand elle était enfant.
Il la regarde sans un mot.
Elle s’agenouille devant lui et dépose un tendre baiser sur ses lèvres.

- pardon mon amour, pardon pour tout le mal que je t’ai fait, pour la faiblesse de mon cœur qui n’a pas su te faire passer avant le reste. J’aurai vraiment aimé que tout soit différent, qu’Aerlinn soit ta fille …. J’aurai dû fuir avec toi ! tu avais raison ….

Les larmes roulent le long de ses joues quand elle tranche ses liens.

- Va ! part aussi loin que tu le souhaites ! puissent les esprits toujours veiller sur toi.

Merende se relève lentement et sort de la hutte sans espérer le moindre mot, le moindre pardon de la part de son amour.
Elle retourne près du feu où l’attend le pot contenant la mixture étrange. Elle détache le haut de sa robe, dévoilant son torse, et fait une entaille au niveau de son cœur en pensant à sa fille, puis une autre à coté pour elle même.

Après quelques minutes pour contrôler la souffrance de cet acte, elle se dirige vers sa hutte, prend Aerlinn dans ses bras, un sac de vivre et se met en route … sans but vraiment … juste quitter ce lieu qui la fait tant souffrir …

Tournant le regard une dernière fois vers le camp endormi, Merende apperçoit Cênëdril debout qui attend un mot un geste de sa part ! Elle prend alors conscience que le rituel qui a ramené Cen à la vie l’a lié à elle pour toujours, elle n’a pas d’autre choix que de l’emmener avec elle, sinon il périra.

- Cënëdril ! vient on part !

Le guerrier se met en route sans un mot et ils se dirigent tous les trois vers la sortie du village.

Merende s’arrête soudain, une silhouette se détache de la pénombre … c’est Yijael, il la regarde et lui tend la main ! elle lui montre d’un geste Aerlinn et CEn, il hausse les épaules et l’aide à monter sur son tigre … c’est finalement à quatre qu’ils quittent le camp.